Outre le désormais traditionnel gel de printemps, des épisodes de grêle à répétition et des températures extrêmes dès le mois de mai ayant entraîné une sécheresse sur tous les territoires, le millésime 2022 restera dans les annales comme une année dantesque. Les vignerons bio d’Auvergne Rhône Alpes ont tous ressenti, à différents niveaux, les conséquences du changement climatique. Certains ont perdu une partie de leur production, d’autres ont réussi à sortir leur épingle du jeu. Mais à l’image d’un ciel d’orage, l’horizon du vignoble français reste incertain.

Afin de croiser les regards sur ces nouveaux défis, nous sommes allés à la rencontre de 2 vignerons enracinés depuis plusieurs générations sur leurs terroirs respectifs : Geoffroy Subrin, Domaine du Crêt de Bine, Beaujolais et Alexandre Liotaud, Domaine de Rieu Frais, Baronnies ont dressé le bilan de la saison et partagé leurs réflexions sur l’avenir.

Alexandre Liotaud

Geoffroy & Florence Subrin

Geoffroy, Alexandre, décrivez-nous votre domaine et les lieux d’où naissent vos vins :

Geoffroy : Nous sommes tout au Sud du Beaujolais. Florence, ma cousine, et moi exploitons 12 hectares certifiés en Bio et Biodynamie. Le domaine est à Sarcey et compte 9ha sur un coteau culminant à 410 mètres – d’où le nom de « Crêt » – sur un plateau sableux granitique, et 2ha dans les pierres bleues de Bully.

Alexandre : Notre vignoble de 35ha en Bio et Biodynamie est implanté de 420 à 600 m d’altitude dans une ancienne vallée glacière en plein cœur des Baronnies. Notre climat à la fois méditerranéen et alpin, et notre relatif encaissement, préservent notre vignoble des maladies de la vigne. Les sols sont constitués de calcaires et de marnes blanches et bleues un peu comme dans le Jura.

Que faut-il retenir de cette année ?

Geoffroy : Le printemps s’est bien passé, sans dégâts de gel et la vigne a fleuri sans problème. Puis des températures hors normes se sont installées et les choses sont devenues difficiles car nos sols sableux s’assèchent rapidement. L’absence de précipitations a diminué la pression des maladies, mais la vigne s’est trouvée en situation de stress hydrique, et sa croissance est restée bloquée jusqu’au mois d’août, puis les raisins ont également donné des signes de blocages de maturité. Nous avons dû vendanger le 23 août pour préserver l’équilibre sucre/acidité des raisins à la base d’une récolte de qualité. Finalement le rendement en jus est moindre que d’habitude mais la qualité est au rendez-vous malgré des conditions très compliquées.

Alexandre : De notre côté, la sécheresse s’est également très vite manifestée. Pour donner un ordre d’idée, de janvier à août, le cumul pluviométrique est de moins de 200 mm ce qui correspond à l’Andalousie. Mais ce manque d’eau très précoce a sans doute permis à la vigne de s’adapter très tôt empêchant tout blocage. Comme partout, les vendanges ont eu 15 jours d’avance mais paradoxalement ce millésime extrême s’est conclu sur des vinifications tranquilles, une pluie le 30 août a revigoré les raisins et équilibré les arômes, les tanins et atténué les degrés d’alcool.

Quelles actions envisager face à la possible récurrence de ce genre d’épisodes dans le futur ?

Geoffroy : Face à la canicule nous avons pulvérisé des préparations biodynamiques à base de « bouse de corne » pour tenter de rafraichir la vigne. Plutôt que miser sur l’irrigation contraire à notre philosophie, nous avons préféré privilégier le travail du sol pour limiter l’enherbement. Nous avons laissé le maximum de feuillage pour optimiser la photosynthèse et faire de l’ombrage aux raisins qui risquaient d’être brulés par le soleil.

En 2020, nous avons entamé un projet d’agroforesterie afin de ramener de la biodiversité sur le plateau, et également de couper un peu le vent en plantant près de 300 mètres de haies et des fruitiers et creusé une mare. Le but étant d’avoir le meilleur équilibre flore/faune, en bonne cohabitation avec les cultures.

Il faut surement chercher de nouveaux porte-greffes pour les futures plantations, et installer des drains pour canaliser la fraicheur. Les risques de gel et de grêle sont aussi accentués, c’est pourquoi nous cherchons à répartir nos parcelles qui sont aujourd’hui d’un seul tenant, nous avons donc planté dernièrement 2ha sur une nouvelle zone.

300 mètres de haies et des fruitiers pour avoir le meilleur équilibre flore/faune, en Beaujolais.


Alexandre 
: Depuis des années nous avons notre propre un engrais vert à base de fèverole que nous semons sur l’ensemble du vignoble pour apporter les nutriments au sol et pour la biodiversité. Cette année avec 30 degrés en mai, on s’est empressés de tout broyer, tout enfouir et gratter l’intégralité des sols pour éviter que l’herbe entre en concurrence avec la vigne. Et cela particulièrement sur les plantiers, car les jeunes vignes ont une résilience incroyable aux aléas du climat à condition qu’elles n’aient pas de concurrence. De toute manière il n’y a aucune possibilité d’irriguer chez nous, il n’y a pas d’eau, pas de nappes phréatiques et nous avons été mis rapidement sous restriction.

Pour de futures plantations nous réfléchissons surtout à sélectionner les parcelles avec les sols les plus profonds car dès que la roche affleure c’est là que la vigne souffre le plus. Le danger principal dans le futur reste le gel qui nous a déjà énormément touché en 2017 où nous avons perdu 60% de la récolte.

Vignoble des Baronnies

Un mot pour conclure ?

Geoffroy : Je crois que personne n’a la solution miracle face cette nouvelle donne, il faut réfléchir intelligemment et localement en symbiose avec son terroir, tester, et essayer de faire du mieux que l’on peut.

Alexandre : Cette année a été bonne pour nous, mais s’il est bon de se réjouir de son bonheur il ne faut pas se réjouir du malheur des autres. Car la roue peut tourner.
Il faut toujours rester solidaire et aider les copains.

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